Du grand sentiment d’amour que nous recevons par la sainte espérance, SAINT FRANÇOIS DE SALES

St Francois de Sales - centresevres
Article "Spécial Confinement Covid 19"
Publié le 27 avril 2020

Saint François de Sales, Traité de l’Amour de Dieu (1616), Livre II, chap. XV, « Du grand sentiment d’amour que nous recevons par la sainte espérance », extrait des Œuvres, textes présentés par A. Ravier, Gallimard, « La Pléiade », 1969, p. 453-455

Comme étant exposés aux rayons du soleil de midi, nous ne voyons presque pas plutôt la clarté que soudain nous sentons la chaleur, ains la lumière de la foi n’a pas plutôt jeté la splendeur de ses vérités en notre entendement, que tout incontinent notre volonté sent la sainte chaleur de l’amour céleste. La foi nous fait connaître par une infaillible certitude que Dieu est, qu’il est infini en bonté, qu’il se peut communiquer à nous, et que non seulement il peut, ains il le veut : si que, par une ineffable douceur, il nous a préparé tous les moyens requis pour parvenir au bonheur de la gloire immortelle. Or, nous avons une inclination naturelle au souverain bien, en suite de laquelle notre cœur a un certain intime empressement et une continuelle inquiétude, sans pouvoir en sorte quelconque s’accoiser, ni cesser de témoigner que sa parfaite satisfaction et son solide contentement lui manque. Mais quand la sainte foi a représenté à notre esprit ce bel objet de son inclination naturelle, ô vrai Dieu, Théotime, quelle aise, quel plaisir, quel tressaillement universel de notre âme ! laquelle alors, comme toute surprise à l’aspect d’une si excellente beauté, s’écrie d’amour : Ô que vous êtes beau, mon Bien-aimé, ô que vous êtes beau !

Eliézer cherchait une épouse pour le fils de son maître Abraham : que savait-il s’il la trouverait belle et gracieuse comme il la désirait ? Mais quand il l’eut trouvée à la fontaine, qu’il la vit si excellente en beauté et si parfaite en douceur, mais surtout quand on la lui eut accordée, il en adora Dieu et le bénit, avec des actions de grâces pleines de joie non pareille. Le cœur humain tend à Dieu par son inclination naturelle, sans savoir bonnement qui il est ; mais quand il le trouve à la fontaine de la foi, et qu’il le voit si bon, si beau, si doux et si débonnaire envers tous, et si disposé à se donner comme souverain bien à tous ceux qui le veulent, ô Dieu, que de contentements et que de sacrés mouvements en l’esprit, pour s’unir à jamais à cette bonté si souverainement aimable ! J’ai enfin trouvé dit l’âme ainsi touchée, j’ai trouvé ce que je désirais, et je suis maintenant contente. Et comme Jacob ayant vu la belle Rachel, après l’avoir saintement baisée, fondait en larme de douceur pour le bonheur qu’il ressentait d’une si désirable rencontre, de même notre pauvre cœur ayant trouvé Dieu et reçu d’icelui le premier baiser de la sainte foi, il se fond par après en suavité d’amour, pour le bien infini qu’il voit d’abord en cette souveraine beauté.

(…) Ainsi, mon cher Théotime, notre cœur ayant eu si longuement inclination à son souverain bien, il ne savait à quoi ce mouvement tendait ; mais sitôt que la foi le lui a montré, alors il voit bien que c’était cela que son âme requérait, que son esprit cherchait et que son inclination regardait. (…) car ainsi notre cœur, par un profond et secret instinct, tend en toutes ses actions et prétend à la félicité, et la va cherchant çà et là, comme à tâtons, sans savoir toutefois ni où elle réside ni en quoi elle consiste, jusques à ce que la foi la lui montre et lui en décrit les merveilles infinies : et lors ayant trouvé le trésor qu’il cherchait, hélas, quel contentement a ce pauvre cœur humain, quelle joie, quelle complaisance d’amour ! Hé, je l’ai rencontré, Celui que mon âme cherchait sans le connaître ; ô que ne savais-je à quoi tendaient mes prétentions quand rien de tout ce que je prétendais ne me contentait, parce que je ne savais pas ce que, en effet, je prétendais ! Je prétendais d’aimer, et ne connaissais pas ce qu’il fallait aimer ; et partant, ma prétention ne trouvant pas son véritable amour, mon amour était toujours en une véritable, mais inconnue prétention : j’avais bien assez de pressentiment d’amour pour me faire prétendre, mais je n’avais pas assez de sentiment de la bonté qu’il fallait aimer, pour exercer l’amour.