Hommage à Bernard Sesboüé, sj, théologien en quête de la « source »

Article
Publié le 22 septembre 2021

Enseignements, conférences, publications, engagement dans le dialogue œcuménique, participation à la Commission théologique internationale : l’œuvre du P. Bernard Sesboüé impressionne par son ampleur et sa fécondité, qui lui ont valu une réputation bien au-delà de la France.

C’est d’abord l’œuvre d’un professeur qui, pendant une quarantaine d’années, a enseigné la patristique et la théologie dogmatique (d’abord à la Faculté de Lyon-Fourvière, puis au Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris). Héritier du « retour aux Pères » jadis illustré par le P. de Lubac, il avait à cœur de transmettre à ses auditeurs les richesses de la tradition, ainsi que de les ouvrir aux nouvelles questions de notre temps. Éminent pédagogue, il était reconnu pour l’exceptionnelle clarté de ses cours, et pour le don qu’il avait d’accompagner les étudiants dans leur parcours théologique. C’est aussi ce patient travail de professeur qui, dans une large mesure, lui a permis d’avancer dans sa propre recherche, et plusieurs de ses livres sont eux-mêmes le fruit des enseignements qu’il a ainsi donnés au fil des ans.

De ses publications (une quarantaine de livres, et de très nombreux articles) on retiendra d’abord celles qui ont trait à la patristique : ayant consacré sa thèse de doctorat au Contre Eunome de Basile de Césarée, il édita cette œuvre dans la collection « Sources Chrétiennes » ; il écrivit aussi un beau livre sur l’un des premiers Pères de l’Église, Irénée de Lyon. Sa connaissance de la patristique le prédisposait tout naturellement à des travaux dans le champ de la christologie. Plusieurs de ses livres traitent de celle-ci, en particulier Jésus-Christ dans la tradition de l’Église (1982), où il expose la christologie ancienne et dégage la portée actuelle du dogme de Chalcédoine. Mais ce sont sans doute les deux volumes de son ouvrage Jésus-Christ l’unique Médiateur (1988 et 1991) qui peuvent être considérés comme sa contribution la plus importante à la théologie dogmatique : Bernard Sesboüé y propose un diagnostic sur les conceptions du salut qui ont eu cours depuis l’époque ancienne jusqu’au XXe siècle, puis s’engage dans un parcours de théologie biblique pour montrer comment Jésus-Christ offre son salut à l’humanité et quelles « catégories » permettent d’en rendre compte aujourd’hui.

Son apport à la théologie dogmatique ne s’arrête pas là : non seulement Bernard Sesboüé a traité de bien d’autres sujets (ainsi dans ses livres sur l’Esprit Saint, sur Marie, ou encore sur l’adage « Hors de l’Église pas de salut » et sur les problèmes d’interprétation que cet adage soulève), mais il a produit en 1999 un ouvrage de synthèse sur la foi chrétienne (Croire : invitation à la foi catholique pour les femmes et les hommes du XXIe siècle) ; en outre, il a dirigé une Histoire des dogmes en quatre volumes, dont il a lui-même rédigé de nombreuses pages, et qui est un ouvrage de référence pour quiconque veut connaître la genèse et le sens des doctrines professées par l’Église.
Sa contribution à l’ecclésiologie, enfin, mérite d’être spécialement soulignée. Outre des ouvrages de fond (tel le livre paru en 2013 sous le titre Histoire et théologie de l’infaillibilité de l’Église), il faut rappeler son engagement courageux sur des questions actuellement débattues, en particulier la question des « ministères » confiés aux laïcs chargés de mission (comme en témoigne son livre de 1996 : N’ayez pas peur : regards sur l’Église et les ministères aujourd’hui).

Surtout, Bernard Sesboüé a été un acteur de premier plan dans le dialogue œcuménique. Il fut à une époque membre de la Commission internationale de dialogue catholique-réformé ; il participa pendant près de 40 ans aux sessions du Groupe des Dombes, et fut nommé consulteur du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. Son expérience en la matière se reflète dans diverses publications (Pour une théologie œcuménique, en 1990 ; La patience et l’utopie, en 2006), et elle a marqué en profondeur l’ensemble de sa réflexion théologique. Jusqu’à une date toute récente encore, Bernard Sesboüé a publié des livres sur plusieurs sujets : Jésus. Voici l’homme (2016) ; Introduction à la théologie (2017) ; L’Église et la liberté (2019) ; Comprendre l’eucharistie (au début de l’année 2020).

Bernard Sesboüé était conscient de sa dette envers plusieurs jésuites du XXe siècle : non seulement Henri de Lubac et Karl Rahner, mais aussi Yves de Montcheuil (auquel il consacra un très beau livre). Son œuvre n’est pas sans parenté avec celle d’un théologien allemand qu’il appréciait beaucoup, Walter Kasper : de part et d’autre, une contribution de poids à la christologie et à l’ecclésiologie, un engagement intense dans l’œcuménisme, l’équilibre d’une pensée qui conjugue l’ancrage dans la tradition et l’ouverture aux questions du présent.

Dans un petit livre sur le P. Léonce de Grandmaison, Bernard Sesboüé citait une phrase de ce dernier : « Tous les travaux des spécialistes ne valent que pour nous donner accès à la source : arrivé près d’elle, que celui qui a soif s’agenouille, et qu’il boive. » Il faut remercier Bernard Sesboüé d’avoir tant aidé, par ses propres travaux, à mieux connaître cette source et à s’y désaltérer.

Michel Fédou sj